Vous êtes, depuis plusieurs années, un ambassadeur du sport santé. Quels sont les liens entre sport et santé ?

Stéphane Diagana – Dans la santé, il y a trois paramètres importants : la nutrition, l’activité physique et l’environnement. Concernant l’environnement, nous pouvons tous jouer un rôle, mais on ne changera pas les choses du jour au lendemain. On peut aussi être acteur de sa propre nutrition, mais on est parfois dépendant de facteurs qui nous échappent, comme l’usage de pesticides ou de perturbateurs endocriniens. Finalement, l’activité physique est le levier que l’on peut facilement actionner au niveau individuel, avec des effets très rapides.

Je parle d’activité physique car, en réalité, ce n’est pas le sport qui est en jeu, c’est le mouvement. Mais il se trouve que le sport est un moyen de faire bouger les gens de manière ludique et durable. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé non pas comme une absence de maladie, mais comme un état complet de bien-être physique, mental et social.

Le sport est intéressant en cela, car il comporte une dimension psychique, avec notamment un regain de confiance en soi, une dimension physique et une dimension sociale : on voit bien que ça colle complètement avec la définition de l’OMS. J’ai pris conscience de la puissance du sport santé via un  rapport de l’Inserm de 2008, qui est une méta-analyse de toutes les études faites dans le monde montrant l’intérêt, parfois supérieur à la prise de médicaments, de programmes d’activité physique adaptée pour la santé des personnes atteintes de maladies chroniques. Sur cette base, on peut considérer que les preuves ne sont plus à faire sur ce sujet-là.

L’efficacité du sport santé est donc clairement établie ?

S. D. – Effectivement, elle est très documentée. En revanche, il faut sans doute parfaire la preuve de son efficience médico-économique. C’est ce que je m’attache à faire dans le cadre d’un projet de campus sport santé de 4 hectares et 9 000 mètres carrés de plancher, qui devrait ouvrir ses portes à Mougins en 2022. Outre une offre destinée à ceux qui pratiquent la course à pied, le vélo, le triathlon ou un sport d’endurance dans une optique de compétition, l’idée de cette structure est de transférer des savoir-faire de l’accompagnement des sportifs de haut niveau auprès de personnes qui ont envie de se sentir mieux, qui veulent se mettre à l’activité physique pour prévenir l’apparition de maladies ou qui sont déjà malades et doivent intégrer une activité physique adaptée dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique.

Je travaille à ce projet depuis 2010 avec mon épouse, Odile Diagana, elle aussi ancienne athlète de haut niveau. Nous nous sommes entourés de partenaires, parmi lesquels le régime social des indépendants (RSI) Côte d’Azur, le département de santé publique du CHU de Nice, le Laboratoire motricité humaine expertise sport santé, le Lamhess, l’hôpital privé gériatrique Les Sources et Malakoff Humanis, afin de mettre en œuvre un dispositif de prévention secondaire et tertiaire pour les personnes souffrant de maladies cardiovasculaires.

En quoi consiste-t-il ?

S. D. – Il s’agit d’une étude biomédicale, baptisée « As du cœur », menée entre 2014 et 2016 : elle consistait à proposer des activités physiques adaptées à des patients coronariens, puis à en mesurer les effets, à la fois sur leur santé et du point de vue médico-économique. Le RSI Côte d’azur, devenu depuis Sécurité sociale des indépendants, a fourni les données anonymisées des dépenses de santé d’un échantillon de 47 assurés sociaux. Parmi ces derniers, un demi-groupe a pratiqué chaque semaine deux séances d’activité physique adaptée encadrées et une en autonomie pendant cinq mois. Les sept mois de l’année restants, ils devaient poursuivre seuls. L’autre demi-groupe a été autonomisé au bout de deux mois et demi pour voir ce qui se passe lorsque l’on accompagne fortement les gens pendant une période et qu’on les laisse livrés à eux-mêmes le reste de l’année.

L’objectif de ces travaux était de comparer leur consommation de soins durant l’année d’intervention à la moyenne des deux années précédentes, mais aussi aux dépenses de remboursement de la population dont ils étaient extraits au RSI, soit environ 2 000 assurés atteints d’une affection de longue durée (ALD), pour ce type de pathologies. Les résultats ont été publiés dans le BMC Cardiovascular Disorders.

Quels en sont les principaux enseignements ?

S. D. – Le premier constat relève de la partie psycho-comportementale de ces travaux. Nous avons observé que le demi-groupe responsabilisé plus tôt a davantage poursuivi sa pratique dans les mois suivants, ce qui laisse penser que les gens sont rapidement aptes à se prendre en charge, à condition de leur fournir des outils tels que des plans d’entraînement, des cahiers de suivi, un support téléphonique pour faire le point sur les séances… Du point de vue de la santé, nous avons enregistré une diminution de la fréquence cardiaque de repos de l’ordre de 8 % entre le début et la fin du programme, ce qui va dans le sens d’une amélioration de l’espérance de vie.

Concernant le volet médico-économique, leur consommation moyenne de soins affiche une baisse significative d’un point de vue statistique de 30 %, que ce soit en les comparant à eux-mêmes ou à la population de référence, passant d’environ 4 100 à 2 880 euros par an.

Il ne s’agit pas de financer la prévention primaire, mais de prendre en charge le sport sur ordonnance pour les assurés en ALD.”

Ces résultats plaident-ils pour une prise en charge du sport santé par la collectivité ?

S. D. – La HAS, la Haute Autorité de santé, reconnaît l’activité physique adaptée comme une thérapeutique non médicamenteuse efficace sur plusieurs pathologies. Dès lors que l’on invite les médecins à la prescrire dans le cadre du sport sur ordonnance, il faut se poser la question de sa prise en charge, notamment pour éviter de créer une inégalité d’accès à ce soin. Mais, avant cela, il faut apporter encore plus de preuves d’efficience. C’est pourquoi, après présentation des conclusions de l’étude aux ministères de la Santé et des Sports, ainsi qu’aux acteurs de l’assurance maladie, l’équipe As du coeur s’est saisie de l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale 2018 pour étendre ses travaux à 1 200 personnes sur cinq régions. L’objectif est d’en consolider les résultats du point de vue médico-économique.

Pour l’heure, le sport santé souffre de l’hétérogénéité et de la fragilité des initiatives sur le territoire. Afin de généraliser l’accès à ce genre de programmes, il faut, après avoir démontré qu’ils sont bénéfiques pour les patients, démontrer qu’ils le sont pour les dépenses de santé. Il ne s’agit pas de financer la prévention primaire, mais de prendre en charge le sport sur ordonnance pour les assurés en ALD, car on est capable d’en mesurer l’efficience, le service médical rendu, l’amélioration du service médical rendu, et d’obtenir, comme pour un médicament, un avis d’efficience de la HAS.

Certains pays sont plus en avance que nous sur la question, notamment ceux où le coût des maladies chroniques est supporté par des assurances privées, contrairement à la France où il l’est à 100 % par l’assurance maladie. De fait, les dispositifs y sont comparés en termes médico-économiques, précisément parce qu’il y a des notions de rentabilité en ligne de compte. Je ne dis pas qu’il faut tendre vers ces modèles-là, mais il faut reconnaître que, sur ce point particulier, c’est un facteur qui a favorisé l’innovation et la diversité des prises en charge. En Afrique du Sud, par exemple, les remboursements peuvent ainsi atteindre 70 % du coût des programmes en fonction de l’assiduité des assurés. Je ne suis pas pour un mécanisme de malus pour les moins réguliers, mais il est intéressant d’encourager les gens et de lever les freins pour qu’un maximum d’entre eux se prennent en main et soient plus actifs.

Pour Stéphane Diagana, il est nécessaire de mettre en évidence l’efficience médico-économique de l'activité physique adaptée pour les malades chroniques.
Stéphane Diagana : « Il faut pouvoir rendre le sport santé plus accessible ». ©Amélie Laurin

Où en est la France dans cette réflexion ?

S. D. – Il y a encore du chemin à parcourir. D’un côté, on encourage via la loi à prescrire du sport santé, dont on sait qu’il est efficace, et en même temps, on considère que se le paye qui peut. Cela ne me satisfait pas de me dire que, dans mon centre, je vais pouvoir bien soigner, avec la supervision d’un médecin et des infrastructures de qualité, des personnes qui vont payer un abonnement de 100 euros par mois, mais que ceux qui n’ont pas ces moyens-là ne pourront pas profiter de cet effet santé. Il faudrait pouvoir rendre ce soin plus accessible. Symboliquement, la loi est un premier pas. Maintenant, il faut mieux qualifier les offres de pratique, mieux les évaluer, et montrer à quel point il y a un enjeu important.

Prenons un éducateur sportif qui encadre de manière très qualitative 50 personnes sur une semaine de 35 heures : à raison d’une moindre consommation de soins de l’ordre de 1 200 euros par an par participant, comme dans notre expérimentation, il va non seulement financer son emploi sur les économies réalisées, mais, en plus, laisser une réduction de dépenses de santé résiduelle. Et il s’agit d’emplois non délocalisables de services à la personne à forte valeur ajoutée ! C’est cette démonstration d’un intérêt financier à prendre en charge qu’il faut arriver à faire. C’est la seule manière de démocratiser le sport santé et de faire en sorte que la filière se structure en termes de formation des médecins et des encadrants.

Vous croyez à ce changement de paradigme ?

S. D. – Absolument. Il y a eu des questionnements, mais aujourd’hui, il y a une envie d’aller dans ce sens-là. Les Jeux olympiques et paralympiques à Paris en 2024 sont un tremplin pour cela. Leur préparation a donné lieu à la rédaction d’un plan d’héritage du gouvernement, dans lequel le sport santé a une place importante. A l’école, dans les entreprises, l’ambition est de mettre plus de sport et d’activité physique dans le quotidien des Français.