Conseil communal de santé: objectif santé pour tous
A Marseille, le Conseil communal de santé veut insuffler une politique de santé plus égalitaire au sein de la ville. Cette instance innovante de démocratie participative mise sur une approche globale soutenue par la pluralité de ses acteurs : membres de mouvements associatifs et citoyens, scientifiques, professionnels de santé et du médico-social.
Comment adapter une politique locale de santé au plus près des besoins des habitants ? Grâce à une démarche inédite de démocratie sanitaire, la ville de Marseille a peut-être la réponse à cette problématique complexe. Cette municipalité a en effet créé une instance innovante : un Conseil communal de santé (CCS).
« Notre politique de santé vise à prendre soin de tous les habitants, en réduisant les inégalités sociales et territoriales de santé. Nous avons pour objectif la santé pour tous, quel que soit le lieu de résidence », déclare Michèle Rubirola, première adjointe au maire de Marseille déléguée à la santé. « C’est pour renforcer cette ambition que nous avons décidé de lancer, fin octobre 2021, le premier Conseil communal de santé en France. L’enjeu est de coconstruire une politique de santé publique plus égalitaire et transparente, avec l’ensemble des acteurs de terrain », explique cette élue.
« Véritable instance de démocratie en santé, le Conseil communal de santé s’appuie sur une expertise globale émanant à la fois de scientifiques, de professionnels de santé et de citoyens engagés, ce qui contribuera à mettre en place une politique de santé pour et avec nos concitoyens », précise Michèle Rubirola.
Organe apolitique
« C’est un acquis incontestable pour les Marseillais, car ce conseil n’a d’équivalent nulle part ailleurs », indique Yazid Attalah, président de l’association Santé et environnement pour tous (Sept). « De la même façon que les comités d’intérêt de quartier sont consultés en cas de rénovation urbaine ou d’aménagement territorial, il est normal que des personnalités issues de la société civile puissent donner leur avis sur la santé », renchérit ce militant. Son association fait intervenir des médiateurs auprès de la population pour faciliter l’accès à la santé et à la prévention.
Composé de 39 membres, le CCS compte quatre collèges qui représentent respectivement les professionnels de santé, les chercheurs et les scientifiques, les acteurs du médico-social, et enfin, les associations, fondations et mouvements citoyens. Pour l’heure, les premiers travaux concernent plusieurs thématiques jugées prioritaires : Covid-19, santé et précarité, toxicomanie et réduction des risques, accès aux soins et innovation dans l’offre de soins.
« Dans cet organe apolitique et asyndical, chaque membre bénévole se nourrit du savoir et de l’expérience des autres, afin d’avancer ensemble vers un but commun : l’égalité des chances en santé », soutient Jessica Lavigne, présidente et coordinatrice de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) Actes-Santé. « Mettre autour de la table toutes les expertises susceptibles de faire germer de nouvelles idées sur l’organisation des soins ne peut qu’être bénéfique à la santé de la population, surtout dans les quartiers prioritaires de la ville », poursuit cette infirmière libérale, membre du collège des professionnels de santé.
Vision holistique
« Cette diversité du CCS favorise la prise en charge globale des personnes, en considérant tous les déterminants de santé, comme par exemple l’environnement social, le logement ou les habitudes de vie. C’est une vision holistique très intéressante », approuve Khadidja Sahraoui-Chapuis, directrice de Réseaux 13, une association de prévention des conduites à risques et de promotion de la santé, située au nord de la ville. « Les quartiers nord souffrent d’un déficit structurel de l’offre de soins et d’un manque d’équipements en santé, note Yazid Attalah. Les professionnels de terrain espèrent faire bouger les lignes avec l’appui de la municipalité. Les élus locaux pourront adresser nos recommandations à l’Etat, en particulier l’agence régionale de santé qui gère l’octroi des financements. »
Le CCS a effectivement vocation à formuler des préconisations concrètes, une fois terminé le processus d’analyse actuellement en cours. « Le responsable de chaque collège est chargé d’installer des groupes de travail intercollèges autour de thématiques spécifiques et d’en planifier les missions. Si besoin, il peut rechercher des compétences au-delà des experts qui composent les différents collèges, pour trouver les meilleures solutions aux thématiques définies dans notre programme et, par la suite, à celles qui découleront des nouveaux besoins exprimés », détaille Michèle Rubirola.
Fracture sociale
« Dans un premier temps, nous effectuons un diagnostic précis en matière de santé. Cela permettra d’objectiver les éléments, en croisant les constats du terrain avec l’expertise des chercheurs », complète Khadidja Sahraoui-Chapuis, référente de la commission Santé, précarité et quartiers populaires. Pour cette docteure en sociologie, « la dynamique enclenchée est appréciable, parce qu’on parle aux associations ancrées dans les territoires. Ce n’est pas un diagnostic hors sol ». Et surtout, ajoute-t-elle, « les quartiers populaires sont au cœur de ce chantier. Ils peuvent peser dans les décisions qui aboutiront inéluctablement à des actions plus efficientes en direction des habitants. La fracture nord-sud est réelle en termes d’accès aux soins et à la prévention, mais le CCS a la capacité d’inverser cette tendance. C’est aussi en cela qu’il s’avère positif et innovant ».
D’ores et déjà, cette instance a mobilisé ses forces actives pour faire face à la crise sanitaire. « Des actions de vaccination collective ont associé l’ensemble des acteurs sur le terrain : du personnel des centres de santé, des médiateurs pour sensibiliser les gens, des assistantes sociales pour aider ceux qui n’avaient pas de droits ouverts, ou bien non à jour… Nous avons tous apporté notre pierre à l’édifice ! », témoigne Jessica Lavigne, dont la CPTS intervient également au nord, dans les 14e, 15e et 16e arrondissements. « Nous avons mené une stratégie ″d’aller vers″, c’est-à-dire une vaccination mobile dans les quartiers, en bas des immeubles ou à domicile », rapporte Yazid Attalah. « Les chiffres avaient montré une moindre vaccination dans les quartiers prioritaires. Grâce à notre ancrage territorial et au partenariat avec l’association Sept, nous avons pu agir sur les inquiétudes et représentations des populations auprès desquelles nous intervenons », se félicite Khadidja Sahraoui-Chapuis.
Faible dépistage
« A l’instar de la vaccination, le dépistage reste très en deçà de la moyenne parmi ces citoyens. C’est le cas pour le cancer colorectal, celui du sein ou du col de l’utérus », regrette Michèle Rubirola. La première adjointe au maire a réclamé une réflexion sur la généralisation des politiques de prévention dans ces arrondissements éloignés du centre-ville.
« Dans le territoire où j’exerce, la population est généralement plus jeune, plus précaire, et présente plus d’affections de longue durée. Mais la santé n’est pas la priorité, déplore Jessica Lavigne. Ces paramètres médico-sociaux engendrent des retards de prise en charge, voire aucune prise en charge. » « La santé est reléguée au second plan par manque de moyens. Souvent, l’urgence consiste à nourrir son enfant, à payer le loyer ou l’électricité », confirme Khadidja Sahraoui-Chapuis, qui relève une surreprésentation de pathologies comme le diabète, l’hypertension, l’obésité ou certains cancers.
« Il importe de préserver l’accès aux soins pour tous via le CCS, car ce droit caractérise aussi la démocratie en santé », lance Jessica Lavigne. Pour cela, « le CCS doit développer des actions qui allient soin et prévention, en tenant compte des habitudes de vie individuelles, familiales ou culturelles. Nous devons faire du sur mesure ! », prévient Khadidja Sahraoui-Chapuis. « C’est de la dentelle, conclut Yazid Attalah. Il faut absolument proposer des solutions à l’échelle des territoires, et non plus à l’échelle de la ville dans son ensemble. »