IVG : prévenir l’érosion d’un droit malmené
Refus, tarifications abusives, remarques blessantes, défaut d’information… Pour Caroline Rebhi, coprésidente du Planning familial, le parcours des femmes qui souhaitent interrompre leur grossesse est toujours semé d’embûches. Développer l’éducation à la santé sexuelle et reproductive et mieux former les professionnels de santé permettraient, selon elle, de renforcer l’effectivité du droit à l’avortement.
L’IVG doit être un acte choisi, gratuit, confidentiel et rapide : ces principes fondamentaux sont-ils assurés ?
Caroline Rebhi – Les appels qui nous parviennent et les récits des femmes que nous recevons montrent qu’il existe de nombreux accrocs à ces principes. Certains médecins par exemple, qui se retranchent derrière leur clause de conscience, se contentent de dire qu’ils ne pratiquent pas cet acte et laissent les femmes dans la nature. La loi les oblige pourtant à réorienter leurs patientes. Sans information, celles-ci perdent un temps précieux dans leur démarche, avec le risque de se trouver hors délai. D’autres leur demandent de revenir une semaine plus tard, invoquant un délai de réflexion pourtant supprimé par la loi de 2016. Pour une femme qui serait à six semaines d’aménorrhée, ce report la conduit à sept ou huit semaines, ce qui rend impossible une IVG médicamenteuse à domicile.
Certaines réflexions témoignent également d’un mauvais accueil…
C. R. – C’est vrai. Parfois, elles doivent endurer des commentaires sur le fait qu’elles ont déjà un enfant et qu’il serait temps de faire le deuxième. Ou qu’elles avancent en âge et que l’horloge tourne. D’autres sont en revanche jugées trop jeunes pour avoir un bébé. Finalement, il y a toujours quelque chose d’un peu répressif autour du fait de vivre une grossesse ou pas. Sans oublier les remarques entendues lors de l’échographie : « Ecoutez le cœur, ça vous fera peut-être changer d’avis. » Lors d’avortements tardifs, certaines doivent encaisser un « c’est dommage, c’était un petit garçon… ». Ces situations intolérables montrent que l’IVG n’est toujours pas perçue comme un acte médical ordinaire.
Quid de la gratuité de l’IVG ?
C. R. – Depuis 2016, les actes liés à l’IVG entrent dans le cadre de forfaits pris en charge à 100 %. Un avortement médicamenteux coûte ainsi 187,92 euros. Le prix de l’échographie préalable est de 35,65 euros. Or, dans les faits, il n’est pas rare que ces actes ne soient remboursés qu’à 70 %. Des centres d’imagerie et des laboratoires prétendent que leurs logiciels n’intègrent pas encore ces codifications, pourtant créées en 2016 ! Et qu’une mise à jour pour seulement deux actes serait trop onéreuse.
On note aussi des pratiques malfaisantes de professionnels qui raturent les ordonnances et remplacent le code de l’échographie préalable, jugée non rentable, par celui d’un examen de suivi du premier trimestre de grossesse. C’est la porte ouverte aux dépassements d’honoraires, qui, normalement, n’ont pas leur place dans les forfaits IVG. Un généraliste parisien a récemment facturé une échographie 152 euros, sur laquelle sa patiente a été remboursée 16 euros. Le Planning familial dénonce ces pratiques illégales.
Au-delà des aspects financiers, le choix de la méthode est-il respecté ?
C. R. – C’est un sujet délicat. Il est souvent dicté par les obstacles rencontrés sur le parcours. Parfois, on dit aux femmes : « Vous êtes à quatre semaines, donc c’est la méthode médicamenteuse. » En réalité, en dessous de sept semaines, on a le choix entre l’IVG par aspiration ou médicamenteuse. Cette dernière mobilise moins de monde, ne requiert pas de bloc opératoire, pas d’anesthésiste. Mais il y a un défaut d’information. Des femmes nous appellent pour dire qu’elles ne savaient pas qu’elles allaient saigner abondamment. On leur a parlé de saignements semblables aux règles et assuré qu’elles pouvaient aller travailler. Or, ce n’est pas ça… C’est comme une fausse couche, avec pertes de sang et douleurs, et elles ont droit à un jour d’arrêt de travail.
Le choix est aussi dicté par la disponibilité des blocs à l’hôpital, qui ne sont pas ouverts le samedi. Dans ce cas, la voie médicamenteuse est privilégiée par défaut, ne serait-ce que pour avoir le week-end pour se reposer. Idem concernant les délais d’attente. Ce sont les possibilités des professionnels à proximité qui influent sur le choix. Car la principale demande de toutes les femmes, une fois leur décision prise, c’est que ce soit rapide.
Peut-on parler d’un droit menacé ?
C. R. – Au niveau européen, on peut parler de menace face aux mouvements antichoix qui manifestent contre le mariage pour tous, la PMA, les droits des femmes. En octobre, le Planning a dénoncé un projet de loi polonais qui prévoit de censurer toute information sur la santé sexuelle et reproductive. En France, il existe un délit d’entrave à l’avortement. Malgré cela, il arrive que des tags « Meurtrières » s’étalent depuis la sortie du métro jusque devant nos locaux parisiens, ou que des gens viennent prier à nos portes. Des opposants sont là physiquement. C’est dangereux, car ce n’est pas seulement une menace sur l’IVG : c’est une menace sur les droits sexuels et, en particulier, ceux des femmes.
“40 % des femmes en âge de procréer vivent dans des pays où l’avortement est interdit, limité ou inaccessible.”
Source : Planning familial
Comment renforcer l’effectivité du droit à l’avortement ?
C. R. – Il faudrait qu’il soit intégré à la formation des professionnels de santé. Les médecins ne bénéficient que d’une sensibilisation en première année. Désormais, les internes peuvent effectuer leur stage autonome en soins primaires ambulatoire supervisé dans un planning familial. C’est l’occasion d’acquérir une autre vision de l’avortement et de l’accès à la contraception.
Le Planning est également favorable à ce que les sages-femmes puissent pratiquer des IVG instrumentales. Elles sont souvent mieux formées que les médecins à l’écoute et à l’accompagnement des femmes.
Enfin, il faut miser sur la prévention et l’information. La loi prévoit trois séances annuelles d’éducation à la sexualité de la maternelle au lycée. Or elle n’est pas mise en pratique. On nous appelle en catastrophe quand il y a trois grossesses non prévues d’adolescentes dans l’établissement. Mais, ce n’est pas en 4e, quand elles sont enceintes, qu’on va pouvoir faire quelque chose ! Il faut en parler dès la 6e, pour que les élèves sachent identifier les professionnels capables de répondre à leurs questions sur la sexualité. Pour rendre effectif ce droit, il faudrait déjà faire appliquer la loi et garantir l’accès à une information fiable. De ce point de vue, la bataille se joue donc aussi sur les réseaux sociaux.