Aide médicale d’État : « La supprimer, c’est aussi menacer l’hôpital ! »
L’Assemblée nationale a rétabli le 29 novembre 2023 l’aide médicale d’Etat (AME) pour les étrangers en situation irrégulière, supprimée par le Sénat dans le cadre de l’examen de la loi sur l’immigration. Pour le Pr Nicolas Vignier, infectiologue à l’hôpital Avicenne (Seine-Saint-Denis), attaquer cette couverture maladie serait un non-sens du point de vue des droits humains, de la santé publique et de la soutenabilité du système de santé.
Que représente l’aide médicale d’État pour les dépenses publiques ?
Nicolas Vignier –L’aide médicale d’État est une couverture maladie pour les personnes en situation irrégulière et résidant de manière stable en France. Elle est financée sur le budget de l’Etat et bénéficie à environ 400.000 personnes. Le nombre de bénéficiaires est variable dans le temps, et finalement, il est le reflet à la fois des flux migratoires, mais aussi de la souplesse ou de la rigidité des lois relatives à l’immigration et de l’opportunité pour ces étrangers d’obtenir, ou pas, un titre de séjour. Les lois actuelles sont assez restrictives. Et, mathématiquement, plus on maintient les personnes dans des situations irrégulières plus le nombre de bénéficiaires de l’AME est important.
Le coût cette aide, quant à lui, est d’un milliard d’euros. C’est une somme significative, mais, au regard, des dépenses de santé en France, c’est un poste relativement négligeable, inférieur à 0,5% du total. Économiquement, il faut bien se figurer que, si ces personnes avaient des papiers, ces dépenses existeraient tout de même. Simplement elles seraient supportées par l’assurance maladie. Il n’y a donc pas de sur-dépense, juste un jeu de vases communicants entre la Sécurité sociale et l’AME en fonction du statut des personnes.
Le Sénat avait introduit un article visant à remplacer l’AME par une aide d’urgence. Avec quelles conséquences, selon vous ?
N. V. – Réduire l’accès aux soins d’une population qui cumule des facteurs de vulnérabilité sociale et médicale serait contraire à tous les principes de santé publique, et aux droits de l’homme.
Du point de vue de la dépense de santé supprimer l’AME n’est pas non plus pertinent. Si les gens n’ont plus accès à des soins de santé primaires, qui sont des soins peu coûteux comme une consultation de généraliste ou une vaccination, leur santé va se dégrader et ils recourront aux soins plus tard, mais dans des états plus graves. Un accident vasculaire cérébral du fait d’une hypertension non prise en charge ou un diabète décompensé faute de prévention coûteront bien plus cher à la solidarité nationale.
Or, si l’on constate que les migrants sont souvent des personnes jeunes et en bonne santé, du fait de ce que l’on qualifie de healthy migrant effect, – les personnes âgées ou malades ne migrent pas, parce qu’elles n’en n’ont pas les capacités physiques – on observe également que, du fait de leurs conditions de vie, leur état de santé se dégrade très vite.
C’est pourquoi maintenir un accès aux soins précoces, c’est se donner les moyens de dépister certaines pathologies et donc les traiter plus tôt en évitant les complications‧ Par exemple le cancer du foie pour les porteurs d’hépatite B. Dans le cas du VIH, un patient qui reçoit un traitement n’est plus contagieux. L’accès au traitement est donc également bénéfique pour le contrôle de la maladie.
En ce sens, prévoir un accueil sanitaire pour les étrangers en situation irrégulière a un intérêt majeur. Toutefois, l’étude ANRS Parcours ayant démontré que les infections sexuellement transmissibles surviennent souvent sur notre territoire, c’est une mesure insuffisante. Il faut garantir un accès à la prévention, au dépistage et aux soins primaires tout au long de la vie.
Est-ce justifié, d’un point de vue médico-économique ?
N. V. – Les travaux de la Dre Anne-Laure Feral-Pierssens, médecin urgentiste, cheffe du Samu de Seine-Saint-Denis et chercheuse à Sciences Po, ont mis en évidence les économies liées à l’existence d’une couverture maladie pour les personnes migrantes sans papiers qui se présentent aux urgences, par opposition à des patients similaires qui consultent pour le même motif mais dépourvus de couverture maladie.
Elle a chiffré à 500 euros supplémentaires la prise en charge aux urgences de ces derniers. Sans compter les coûts d’hospitalisation, parfois en en réanimation, où une journée atteint au moins 1 500 euros. C’est à comparer aux coûts des soins primaires : 25 euros pour une consultation de généraliste, auxquels on ajoute éventuellement le coût des examens biologiques. Donc, nous ne sommes pas du tout dans les mêmes échelles.
Que répondre à ceux qui estiment que l’AME est un facteur de déséquilibre pour notre système de santé ?
N. V. – C’est tout le contraire ! Restreindre l’AME entraînerait un afflux de patients sur les urgences, qui ne sont pas organisées pour délivrer du soin primaire à des personnes sans papiers.
Or, elles sont déjà saturées et seraient incapables d’absorber cette demande additionnelle‧ Idem pour les permanences d’accès aux soins de santé (PASS), ces services hospitaliers qui assurent une prise en charge médico-sociale pour les personnes des personnes en situation de précarité. Aujourd’hui, il faut être clair : aggraver la situation de l’hôpital c’est mettre en danger la vie de ceux qui s’y présentent pour de vraies urgences vitales.