Qu’est-ce que l’ARN messager ?

Pr. Axel Kahn – L’ARN messager, ou ARNm, est en quelque sorte le troisième partenaire du code génétique, qui s’exprime, rappelons-le, à travers le triptyque gène/ARN/protéine : l’ARN messager, ou acide ribonucléique messager, est une copie temporaire des informations contenues dans le gène. Son rôle est de traduire le gène en protéines, ces dernières assurant la plupart des fonctions cellulaires.

Alors que l’on utilise déjà les protéines des fins thérapeutiques, par exemple contre le diabète, l’hémophilie, la spondylarthrite ankylosante ou d’autres maladies inflammatoires, on a longtemps négligé les possibilités de l’ARN messager, considérant qu’il était un élément fragile et instable et se prêtait mal à une telle utilisation. Il avait également le défaut, à l’injection, de déclencher de fortes réactions inflammatoires.

Mais en 2005, la biochimiste Katalin Karikò de l’université de Pennsylvanie a trouvé le moyen de modifier légèrement sa composition afin de limiter cette inflammation. Cette découverte a été essentielle.

Et la très grande efficacité des vaccins à ARN messager contre la Covid-19 tels que le Moderna ou le Pfizer-BioNTech a de nouveau attiré toute l’attention sur cette technologie. Son principe est de faire produire par les cellules d’une personne les fragments d’agents pathogènes capables de déclencher une réponse immunitaire.

Quelle sont ses applications possibles au-delà de la vaccination contre la Covid-19 ?

A. K.– Le champ potentiel est extrêmement vaste. A chaque fois que, pour une maladie, il existe une « protéine médicament », comme pour l’hémophilie, alors on peut envisager d’utiliser l’ARNm pour donner à nos cellules les instructions d’assemblage nécessaires à la fabrication de ces protéines spécifiques.

Dans le domaine du cancer, une vingtaine d’équipes dans le monde travaillent sur ce modèle, mais aucune en France. La Ligue contre le cancer a voulu encourager cette recherche très prometteuse par un appel à projets auquel elle consacrera trois millions d’euros sur trois ans.

 

C’est en fait le concept de la vaccination, qui, ici, ne serait pas préventive mais thérapeutique

Comment utiliserait-on l’ARN messager contre le cancer ?

A. K.– La première chose qui vient à l’esprit est que ce soit un outil d’immunothérapie, c’est-à-dire une thérapie ciblée. Il faudrait d’abord identifier, au niveau d’une cellule tumorale, un néoantigène, c’est à dire une protéine spécifique de cette tumeur, mutante ou embryonnaire. Le gène correspondant serait alors transcrit in vitro en ARN messager codant le néoantigène tumoral. Cet ARN synthétique serait alors injecté, soit dans la tumeur elle-même, pour la rendre plus immunogénique – c’est à dire plus capable de déclencher une réponse immunitaire robuste -, soit à proximité des cellules immunitaires pour les stimuler un maximum. C’est en fait le concept de la vaccination, qui, ici, ne serait pas préventive mais thérapeutique.

Peut-on parler dans ce cas de vaccin anticancer ?

A. K.– Je préfère parler d’ARN messager médicament. Je rappelle que la vaccination anticancer à proprement parler existe déjà pour deux types de maladies : les cancers à papillomavirus, qui affectent le col utérus, l’anus ou les voies aérodigestives supérieures, et l’hépatite B, avec son risque d’hépatocarcinome ou cancer du foie.Mais un vaccin préventif générique pour tous les cancers, il ne faut pas se faire d’illusion, c’est bien difficile à imaginer ! Car le principe du vaccin est de développer une immunité contre une cible particulière, alors que l’on se trouve, dans le cas des cancers, face à des milliers de cibles possibles !

L’espoir réside plutôt dans l’immunothérapie et l’ARN messager médicament peut certainement amplifier les promesses de cette voie, notamment pour les cancers du côlon ou certains cancers du sein. Il peut aussi en principe servir une stratégie de toxicité directe : si, avec la chimiothérapie, on arrive à faire rentrer dans la cellule un poison, qui existe sous une forme inactive, et à l’activer une fois à l’intérieur, pour tuer la cellule, alors on peut envisager de faire le même exercice avec l’ARN messager. Reste le problème non résolu du ciblage : il ne faudrait pas que cet ARN pénètre dans des cellules saines…

« Un vaccin préventif générique pour tous les cancers, il ne faut pas se faire d’illusion, c’est bien difficile à imaginer ! »

A quel horizon peut-on espérer des médicaments à ARN messager contre les cancers ?

A. K.– L’utilisation de l’ARNm dans la stratégie de vaccination anticancéreuse personnalisée, qu’elle soit thérapeutique ou préventive de récidive, peut aller vite, avec des premiers essais chez des malades dans les trois ans qui viennent. Ce délai est vraisemblable. A plus long terme, avec l’essor de la médecine de précision pour le traitement des tumeurs, on pourrait s’appuyer sur cette technologie pour obtenir un ARN médicament contre la tumeur spécifique d’un malade donné. Mais il y a encore du travail ! Il y a une certaine impondérabilité dans la recherche : aux Etats-Unis, dix ans après que John F. Kennedy a lancé le plan de conquête de la lune, Richard Nixon a annoncé un grand programme de lutte contre le cancer. On a marché sur la lune en 1969…mais on n’a pas encore vaincu le cancer !