Vous êtes le fondateur de la start-up Implicity. Quelle est son activité ?

Arnaud RosierImplicity est une société d’informatique médicale innovante qui a mis au point une plateforme d’intelligence artificielle pour aider les rythmologues, autrement dit des cardiologues spécialisés dans les troubles du rythme cardiaque, à suivre à distance leurs patients porteurs d’un pacemaker ou d’un défibrillateur implantable.

Ces dispositifs médicaux connectés, qui existent depuis des dizaines d’années, concernent environ 500 000 patients en France, 16 millions en Europe et aux Etats-Unis. Les recommandations médicales européennes et américaines préconisent que tous ces malades bénéficient d’une télésurveillance. Mais seuls 10 % d’entre eux sont télésuivis, alors que cette technologie diminue la mortalité de 40 %. En France, les études médico-économiques montrent que le télésuivi induit une économie de plus de 500 euros annuels par patient.

 

Comment fonctionne cette solution ?

A. R. – Grâce à Implicity, les rythmologues et leurs équipes ont accès à une sorte de guichet unique pour rendre plus efficient le télésuivi. Via notre plateforme Web, ils peuvent récupérer l’ensemble des informations cliniques de leurs patients auprès des cinq fabricants présents sur le marché des pacemakers et des défibrillateurs. Il s’agit notamment de données sur la fréquence et le rythme cardiaques.

Nous utilisons des techniques d’ingénierie des connaissances pour reproduire le raisonnement médical, sur la base des connaissances médicales et des recommandations des sociétés savantes. Des algorithmes d’intelligence artificielle automatisent des tâches qu’exécutaient jusqu’à présent les professionnels de santé pour évaluer le niveau de risque d’un malade télésuivi, ce qui nécessitait des ressources humaines considérables.

Notre solution propose une médecine personnalisée et contextualisée, grâce à l’exploitation combinée du dossier médical et des données issues de la prothèse rythmique connectée. Le niveau d’information du médecin est donc plus pertinent. Pour les médecins, c’est un nouveau métier ! Nous assistons à un changement de paradigme : ne plus soigner des patients en consultation ou lors d’une hospitalisation, mais traiter la donnée qui arrive sans malade.

 

En quoi l’intelligence artificielle améliore-t-elle le suivi des patients ?

A. R. – Avec le télésuivi, les médecins ont la capacité d’agir plus vite, car le tri effectué par les algorithmes évite 84 % des alertes inutiles. Les médecins reçoivent beaucoup moins de notifications, tout en étant assurés d’adapter immédiatement la prise en charge des patients pour lesquels un risque est décelé. Ils peuvent ainsi se consacrer exclusivement au temps médical, en évitant ce qu’on appelle le « fardeau des alertes ». Jusqu’à présent, les médecins pouvaient se retrouver noyés par une masse d’informations issue des dispositifs médicaux connectés.

Certaines informations ont une valeur ajoutée très importante qu’il faut prendre en compte rapidement. Par exemple, lorsqu’un pacemaker détecte des troubles du rythme cardiaque, le médecin reçoit une alerte dans les vingt-quatre heures en raison d’une hausse du risque statistique d’AVC, c’est-à-dire d’accident vasculaire cérébral, dans les semaines suivantes. La notification permet au médecin de placer le patient concerné sous anticoagulants.

 

Comment protégez-vous ces données ?

A. R. – La France est le pays au monde où le cadre juridique autour des données de santé est le plus restrictif. Notre plateforme Web est hébergée chez un tiers qui dispose de l’agrément HADS, ce qui veut dire hébergeur agréé de données de santé. L’authentification des professionnels de santé, qui sont les seuls à avoir accès aux données, est de même niveau qu’une sécurisation des données bancaires ! Enfin, les patients donnent leur consentement pour le télésuivi et en sont ravis, car ils perçoivent l’intérêt et la qualité de cette prise en charge.

 

Quelles sont les perspectives d’avenir ?

A. R. – Au-delà des systèmes experts qui reproduisent les processus humains de façon plus efficace pour filtrer les alertes, il y a toute une vague d’intelligence artificielle moderne, comme le machine learning et le deep learning. L’humain aide la machine à apprendre, puis la machine apprend aussi par elle-même, à partir des réseaux de neurones numériques. Le deep learning a tendance à dépasser l’homme en matière de performance et à rendre l’expertise disponible partout.

L’apprentissage machine ou le Big Data favorisent également la prédiction du risque de survenue d’événements indésirables. D’ici trois ou quatre ans, nous serons en mesure de prédire l’aggravation des symptômes des patients souffrant d’insuffisance cardiaque, la pathologie la plus coûteuse dans les pays occidentaux. Dans d’autres domaines, l’intérêt est d’améliorer l’expertise humaine sur des données d’imagerie médicale, notamment en radiologie, en histologie, ou encore en dermatologie. Cette tendance va s’accélérer avec l’arrivée de nouveaux capteurs miniaturisés connectés.

Aujourd’hui, les patients télésuivis utilisent une sorte de box, avec un transmetteur qui émet les informations. Une application sécurisée sur un smartphone remplacera très prochainement ce dispositif. L’allégement des coûts pour les fabricants va aider à démocratiser cette technique.

 

Y a-t-il des freins à son développement ?

A. R.– En France, il y a un problème d’accessibilité à la technologie. Les patients porteurs d’un défibrillateur bénéficient presque systématiquement d’un télésuivi, ce qui est loin d’être le cas des porteurs de pacemaker.

Au sein des établissements, les équipes médicales sont convaincues de l’intérêt de cette technologie, mais son utilisation est freinée par des difficultés organisationnelles et administratives dans la prise de décision, alors même qu’un modèle de remboursement existe. Notre logiciel permet d’ailleurs aux hôpitaux de facturer le télésuivi dans le cadre du programme Etapes, qui porte sur les expérimentations de télémédecine pour l’amélioration des parcours en santé. Cette activité médicale est facturée 130 euros par an et par patient. Le logiciel coûte 30 euros par an et par patient.