La musique vivante au diapason des soins palliatifs
La vie à l’approche de la mort, c’est le quotidien de l’unité de soins palliatifs du centre hospitalier Rives-de-Seine, à Puteaux. Parmi les soignants, une violoncelliste joue au chevet des patients pour apaiser douleurs et angoisses, et entourer les familles. Le « pansement Schubert », proposé par Claire Oppert, illustre la prise en charge globale de la personne promue par les professionnels de ce service.
« La musique vient toucher une partie de l’être qui n’est pas altérée par la maladie, ce noyau émotionnel qui en encore là, et pleinement là. Combien ai-je observé de patients, même inconscients, parcourus de chair de poule, verser des larmes au son du violoncelle ! »
Depuis 25 ans qu’elle promène son instrument de chevet en chevet auprès de résidents d’Ehpad, de grands autistes ou de malades en soins palliatifs, Claire Oppert, « violoncelliste-soignante » comme elle aime à se définir, en est persuadée : « On n’a pas besoin de connaître la musique pour la ressentir. Le son est une onde qui se propage. Celui du violoncelle est éminemment vibratoire, proche de la voix humaine »
Au centre hospitalier Rives-de-Seine à Puteaux (Hauts-de-Seine), cette artiste fait partie de l’équipe soignante de l’unité de soins palliatifs.
Dans la salle de soins, elle assiste aux transmissions, cette réunion pluridisciplinaire où est évoqué l’état de chaque patient tant sur les plans physique que psychique et émotionnel. La situation des proches est aussi prise en compte. Ainsi, la musicienne peut se faire une idée de ce qui l’attend derrière les portes des douze chambres du service. « En fait, ce matin, ils ont tous besoin de toi », résume la psychologue, Marie Simian.
Dans une première chambre, Monsieur H. est étendu comme endormi, une main dans celle de sa plus jeune fille. Monsieur H. est cambodgien, mais c’est en France qu’il a élevé seul ses quatre filles. Oubbol, l’aînée cherche sur son smartphone des musiques traditionnelles. Alors que s’échappent les premières notes d’une berceuse qui invite toute l’Asie autour du lit de Monsieur H., Claire Oppert laisse son archet improviser des consonances qui se marient à cette mélodie. « Papa !», interpellent doucement chacune à leur tour les deux filles, tandis que la respiration du vieil homme s’amplifie au rythme des sonorités familières. Sous la protection d’un petit bouddha posé sur l’étagère, d’autres chants se succèdent, soutenus par les propositions enjouées du violoncelle.
Un sourire sur le visage, les enfants de Monsieur H. ont soudain envie de raconter un peu de la vie de cet ancien chef d’escale. « Merci, glisse Oubbol lorsque la musicienne prend congé, c’était comme une bulle d’air pour nous ». Une parenthèse d’humanité lorsque s’étire l’interminable attente d’un dernier souffle.
Atténuer douleur et anxiété
« On ne peut pas gommer le tragique des situations, témoigne Claire Oppert, mais on peut apporter beaucoup de vie en prenant en compte tout ce qui reste ». C’est la magie du « pansement Schubert », du nom de l’étude clinique menée par la concertiste avec l’équipe soignante de l’hôpital gériatrique Sainte-Périne, à Paris, sur l’effet du violoncelle lors de soins infirmiers douloureux.
Confrontée aux cris et à l’agitation d’une personne âgée nécessitant le traitement d’une plaie complexe, Claire Oppert s’était un jour mise à jouer l’andante du Trio op. 100 de Schubert. L’effet relaxant sur la patiente fut immédiat et sa détente permit aux infirmières d’accomplir le soin. L’une d’elle fit promettre à Claire de revenir les jours suivants pour prodiguer son « pansement Schubert ». Ce qu’elle fit 112 fois, auprès d’autres personnes en fin de vie, pour évaluer scientifiquement l’effet d’une contre-stimulation sensorielle sur la douleur et l’anxiété. Présentée depuis 2016 lors de nombreux colloques médicaux dans le monde, l’étude démontre l’efficacité antalgique de cette méthode non-médicamenteuse.
Gommer la douleur, accueillir les angoisses, c’est la mission première des équipes palliatives. « La spécificité des soins palliatifs, c’est d’aider à vivre le mieux possible le temps qu’il reste à vivre, c’est la vie avec la maladie, la vie à l’approche de la mort », détaille la Dre Ségolène Perruchio, cheffe du service. Cette démarche conduit les équipes non seulement à déployer une forte expertise médicale, mais aussi, inversement, à faire reculer la médecine dans la vie des gens. Lorsqu’on y parvient, ils nous disent souvent : « Je revis » !
Une patiente s’est mariée dans le service il y a 15 jours. « Ici, on fait souvent la fête, la fête de la lavande, le Beaujolais nouveau, la galette des rois ».
A quelques pas des chambres, une cuisine « comme à la maison » accueille les familles ou les malades qui le peuvent pour des ateliers pâtisseries. « Plutôt que l’odeur de l’hôpital, nous, on préfère que ça sente le gâteau », poursuit la spécialiste. Alors, les personnels ouvrent grand la porte du four pour laisser s’échapper des senteurs de pomme ou de cannelle.
Intégrer la famille
« Nous prenons en charge une personne et non pas un malade, précise Ségolène Perruchio. C’est une approche globale, qui inclut les dimensions physique, psychique, sociale, et parfois spirituelle de chacun. On s’adresse aussi à ses proches, qui font partie intégrante du soin ». Pas d’horaires de visites, pas de visiteurs interdits. Les animaux de compagnie, par exemple, peuvent venir le temps de quelques câlins. Toutes les chambres offrent des lits d’appoint pour l’entourage, et un studio des familles au dernier étage héberge celles qui ne peuvent rentrer chez elles alors que leur parent s’éteint.
Au fond du couloir, une maman de 41 ans, reçoit la visite de son mari et de ses quatre enfants. Sans se départir de sa gaité naturelle malgré ce tableau déchirant, Claire Oppert crée très vite le lien avec la famille. « Les enfants, savez-vous de quel animal provient la mèche de mon archet ? », fait-elle deviner, avant de demander à chacun un choix musical.
« Quelque chose de doux… », réclame le père, tandis que les ados s’accordent sur le générique de la série Vikings et la bande originale de Star Wars. Lorsque la partition ne se trouve pas dans sa valise à roulettes ventrue, Claire sollicite l’aide des plus jeunes pour la trouver sur Internet. Elle poursuit la rencontre avec « Le printemps » de Vivaldi : « Vous entendez les oiseaux ? »
Puis, alors que plusieurs soignants se sont faufilés dans la chambre pour partager ce moment, quelques larmes sont versées lorsque s’égrènent les accords arpégés du prélude de la suite n°1 de Bach. « Là-dessus, je pleure à chaque fois » avoue Marie Simian.
« Quand on a dans le service une maman de notre âge, et dont les enfants ont les âges des nôtres, on a vite fait de se projeter, confie la Dre Mélanie Monribot, en se tournant vers Claire : « Pourras-tu venir jouer pour nous, après ? Nous avons eu une semaine éprouvante, nous avons besoin d’une respiration… ».
Fin de matinée dans la salle de soins : l’équipe se rassemble spontanément. La plainte du vieux violoncelle italien emplit la pièce. Derrière les masques, les yeux se ferment, abandonnés au pouvoir polyphonique de l’instrument. Bach, une nouvelle fois, fait rouler les larmes, puis Bizet revigore l’assemblée, qui entonne l’air de Carmen et plébiscite L’Hymne à l’amour. « Ces parenthèses sont indispensables, assure Ségolène Perruchio. Tous les trois jours, nous accompagnons deux patients jusqu’à la mort. Après, il nous faut repartir. On ne peut pas se permettre de mourir avec eux… »