Pass sanitaire : un enjeu éthique
Le pass sanitaire sera obligatoire pour participer à des évènements rassemblant plus de 1000 personnes à compter du 9 juin. Claude Delpuech, membre du Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) et co-coordinateur d’une « opinion » sur la vaccination en explique les enjeux éthiques.
Quels sont les principes éthiques en jeu sur le pass sanitaire ?
Claude Delpuech – On peut réfléchir autour de deux, voire trois principes. Le premier, c’est le respect des libertés individuelles. Le pass sanitaire est justement une solution qui permet un relatif respect de ces dernières, puisqu’il offre la liberté de choisir la preuve que l’on souhaite apporter sur son statut : le vaccin, un test PCR négatif, le fait qu’on a été contaminé depuis moins de trois mois et qu’on a donc un niveau d’anticorps suffisant…Le second principe est celui de l’équité. La France est certes un pays où les vaccins et les tests sont gratuits, mais pour ce qui est des vaccins, tout le monde n’y a pas encore eu accès. Enfin, un pass sanitaire suppose l’utilisation d’un smartphone, or 20 % de la population n’en a pas.
Et le troisième principe ?
C. D. – C’est le principe de bienfaisance, ou de non-malfaisance. Le pass sanitaire suppose de miser sur la vaccination, or il est encore nécessaire de travailler autour de la balance bénéfice-risque de cette dernière, notamment chez les plus jeunes et chez les enfants. On doit encore se poser la question de l’opportunité de la vaccination à toutes les catégories d’âges, et donc de l’application d’un pass sanitaire.
Ces différents principes doivent-ils être envisagés différemment dans le cadre d’un pass sanitaire qui s’appliquerait aux voyages internationaux et dans celui d’un pass qui permettra d’accéder à certaines activités à l’intérieur d’un pays ?
C. D. – Il faut effectivement réfléchir différemment à ces deux cas de figure. Dans le cas des voyages internationaux, le pass sanitaire se rapproche de ce qui existe déjà dans d’autres conditions. Qu’on pense par exemple à la vaccination contre la fièvre jaune, que nombre de pays imposent aux voyageurs en provenance des zones où la maladie est présente, et qui vise à prévenir l’importation du virus. L’application du même principe au coronavirus peut donc se concevoir.
Au niveau national, l’enjeu est de limiter la diffusion du virus quand on a des regroupements physiques de personnes, et donc de faire repartir la vie sociale et économique. Or à ce niveau, les risques de discrimination dans la mise en place d’un pass sanitaire peuvent être réels, et les difficultés de mise en œuvre sont nombreuses.
L’opinion du CCNE que vous avez co-coordonnée insiste sur la nécessité et la proportionnalité des mesures de contrôle imposées via le pass sanitaire. Sur quels critères peut-on évaluer cette nécessité et cette proportionnalité ?
C. D. – Il n’y a pas vraiment de critères définis dans la loi. Et dans le cas de la Covid, on est obligé de décider dans un contexte d’incertitude. La nécessité des mesures est appréciée différemment en fonction de ce que l’on sait sur l’embolie des services hospitaliers, sur les nouveaux variants, sur l’efficacité des vaccins sur les formes graves mais aussi sur la transmission du virus… Et pour ce qui est de la proportionnalité, c’est encore plus compliqué ! On peut faire des prévisions à court terme, mais au-delà de trois mois, cela n’a pas beaucoup de sens. En tout état de cause, les principes de nécessité et de proportionnalité imposent que les dispositions prises dans le cadre du pass sanitaire soient strictement limitées dans le temps.
Pourquoi l’obligation vaccinale est-elle, pour l’instant, écartée ?
C. D. – Quand la campagne de vaccination a démarré, on sortait de la phase 3 des essais cliniques, et on entrait donc dans la phase 4, durant laquelle les médicaments sont testés en vie réelle, et qui permettent encore d’apprendre. On ne peut pas mettre une obligation sur un médicament qu’on ne maîtrise pas totalement, et sur lesquelles on n’a pas de recul dans les données de pharmacovigilance.