Dans une expertise collective rendue publique le 30 juin 2021, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) actualise les connaissances sur les effets de l’exposition aux pesticides sur la santé humaine, en s’appuyant sur quelque 5300 études scientifiques internationales.

Pour la dizaine de chercheurs mobilisés à la demande de cinq directions ministérielles, « il s’agissait de confronter les résultats d’études toxicologiques à ceux issus de données épidémiologiques, afin d’évaluer les liens de causalité », détaille le toxicologue Xavier Coumoul, coauteur de ces travaux de recherche.

« Chez l’adulte, résume-t ’il, cette expertise met en évidence six pathologies, dont quatre étaient déjà identifiées avec un lien de présomption forte dans notre première étude datant de 2013. Il s’agit de la maladie de Parkinson et de trois cancers, celui de la prostate, le lymphome non hodgkinien et le myélome multiple. Viennent s’ajouter les maladies respiratoires, avec la bronchopneumopathie chronique obstructive et la bronchite chronique, et les troubles cognitifs. »

 

Pesticides organophosphorés

Chez l’enfant, qui peut être exposé durant la phase embryonnaire, au cours sa vie fœtale ou durant la période périnatale, l’étude relève l’existence de troubles cognitifs, sensoriels et moteurs, en association avec les pesticides organophosphorés. Ce sont des produits qui agissent en bloquant les mécanismes de la respiration chez les insectes.

Également visés, les pyréthrinoïdes, que l’on retrouve dans les insecticides et les répulsifs. Une exposition maternelle à ces substances pendant la grossesse ne serait pas étrangère à l’apparition de troubles anxiodépressifs chez l’enfant.

De même, l’Inserm met en évidence une forte présomption de lien entre une exposition domestique à ces pesticides – qu’il s’agisse de traitements pour lutter contre les puces des animaux de compagnie ou de produits de jardinage –, et deux types de cancers : les tumeurs du système nerveux central et les leucémies aiguës des enfants.

 

Endométriose

Par ailleurs, l’étude documente une présomption faible de lien avec certaines pathologies émergentes. « Présomption faible peut signifier que ce sont des maladies, pour lesquelles la littérature scientifique n’est pas très abondante », précise Xavier Coumoul. C’est le cas de l’endométriose, une maladie encore mal connue, qui touche pourtant 10% des femmes.

« Il s’agit d’une affection invalidante qui s’accompagne de douleurs. Elle peut provoquer des infertilités, explique le chercheur, regrettant que le diagnostic soit souvent posé après des années d’errance médicale. « C’est un problème de santé publique majeur, qui touche les femmes, une population dont on sait qu’elle souffre déjà d’inégalités, en particulier au niveau professionnel ».

 

Agriculteur, un métier à risques

En 2013, l’Inserm avait associé une vingtaine de recommandations à son rapport. Certaines avaient été suivies d’effets, comme la reconnaissance en tant que maladie professionnelle de la maladie de Parkinson, ou l’interdiction des pesticides dans les parcs et jardins. Le recueil des données d’usage de ces produits en milieu agricole, en revanche, n’est toujours pas opérationnel.

Pour cette nouvelle édition, l’institut de recherche n’émet pas de recommandations, « mais les conclusions de notre dernière expertise parlent d’elles-mêmes, considère Xavier Coumoul. Elles mettent en évidence une recrudescence de pathologies graves chez l’adulte, comme chez l’enfant, avec des présomptions fortes et des liens de causalité cohérents ».

Des résultats extrêmement préoccupants, en premier lieu pour les agriculteurs et les agricultrices, « très exposés du fait d’une utilisation massive de ces produits, que l’empilement des plans Ecophyto ne parvient pas à enrayer ».

Pour les auteurs de l’expertise il est temps « que les pouvoirs publics prennent conscience que le métier d’agriculteur est un métier à risques pour la santé, alors qu’il l’est déjà d’un point de vue socioéconomique », souligne le toxicologue.

 

Une situation aiguë

« L’objectif n’est pas de chercher des coupables, mais plutôt de faire en sorte que chacun se sente responsable », assure Xavier Coumoul.

Car, derrière la question des pesticides et des alternatives susceptibles de ménager la biodiversité, se cache le besoin d’une réflexion globale. Par exemple sur la production alimentaire.

« Quand on voit que le gaspillage alimentaire peut atteindre 25%, et que l’on pollue les eaux, la nature, l’environnement pour cultiver des produits qui ne sont finalement pas nécessaires, il faut se poser les bonnes questions », estime le chercheur, pour qui la prise de conscience est urgente.

« On a su mettre des moyens pour lutter contre la Covid-19 car on s’est sentis pressurisés de manière aiguë par la situation sanitaire. Avec les pesticides, on se trouve face à un problème chronique, qui est en réalité une situation aiguë un peu invisible. Investir dans une nouvelle forme de politique agricole est, certes, une tâche énorme, mais il faut une vraie volonté politique ! »

 

Le cancer de la prostate bientôt reconnu maladie professionnelle ?

L’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié le 2 juillet 2021 les résultats d’une expertise scientifique sur le cancer de la prostate associé aux expositions professionnelles aux pesticides. « Il s’agit du premier rapport de l’agence dans le cadre de sa nouvelle mission d’expertise pour la reconnaissance des maladies professionnelles », précise-t-elle dans un communiqué.

Appuyés sur une expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) rendue publique le 30 juin, ces travaux concluent à une relation causale probable entre le risque de survenue du cancer de la prostate et l’exposition aux pesticides, dont le chlordécone.

C’est pourquoi l’agence recommande « la création d’un tableau de maladie professionnelle pour le cancer de la prostate associé aux pesticides dans les régimes agricole et général ».

Pour l’heure, il n’existe que deux tableaux de maladies professionnelles dans le régime agricole pour l’exposition professionnelle aux pesticides : ils concernent la maladie de Parkinson et les hémopathies malignes.

Avec 50 000 nouveaux cas par an, le cancer de la prostate représente 25% des cancers masculins.