Vous êtes psychiatre et avez codirigé avec Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, le livre Sport et Résilience, qui regroupe des contributions de différents experts. Comment définissez-vous la résilience ?

Philippe Bouhours – La résilience est la capacité d’un individu à rebondir et à reprendre le cours de sa vie après un traumatisme physique ou psychique : blessure de la vie quotidienne, accident, violence, terrorisme, etc. En dépit de l’adversité, cet individu va entreprendre un nouveau développement en fonction de ses propres capacités émotionnelles et cognitives, se reconstruire et se réadapter à la vie.

La résilience est un processus dynamique qui s’élabore dans le temps et s’entretient. Une personne ne devient pas résiliente du jour au lendemain, mais elle peut développer cette compétence tout au long de sa vie. Cette démarche l’incitera à aller davantage vers les autres, au lieu de se replier sur elle-même.

L’échange avec quelqu’un est crucial dans le processus de résilience, car la personne n’est pas seule face à l’adversité. Cette idée de rencontre et de partage existe dans la pratique sportive. Le sport et la résilience sont deux thèmes qui se complètent parfaitement et s’enrichissent mutuellement.

Quel est le lien entre sport et résilience ?

P. B. – Le processus de résilience est facilité par la représentation globale et universelle dont bénéficie le sport. Le sport appelle au dépassement de soi et c’est souvent dans l’adversité que le champion se dépasse. Trois facteurs de résilience apparaissent essentiels dans le sport : la détermination individuelle, la solidité physique et le contrôle émotionnel, associé à la maturation psychique.

Après un événement traumatique, une personne qui pratique un sport, individuel ou collectif, est amenée à rencontrer un entraîneur, une équipe ou un groupe social, ce qui contribue à lui redonner envie de vivre. Elle retrouve une estime de soi, reconstruit son identité et sa personnalité.

Comme je l’ai évoqué, chaque processus de résilience implique une rencontre et une narration. La personne en souffrance va pouvoir raconter son histoire à un tiers, qualifié de tuteur de résilience. Ce dernier lui vient en aide grâce à son empathie et son écoute authentique, sans jugement. Dans le sport, le tuteur de résilience est souvent l’entraîneur, mais une autre personne du groupe peut le devenir.

Quels sont les bienfaits du sport sur la santé mentale ?

P. B. – Chez les adultes, et surtout chez les personnes âgées, la pratique d’une activité physique induit un allongement de la vie, ainsi qu’une diminution des maladies cardiovasculaires et des troubles métaboliques, tels que le diabète, l’hypercholestérolémie et l’obésité.

Si ces données commencent à être connues du grand public, il importe de faire savoir que le sport améliore aussi la condition mentale des personnes souffrant d’anxiété, de stress professionnel ou de dépression, avec parfois une réduction significative des traitements médicamenteux. Une activité physique d’une à deux heures par semaine suffit à obtenir ces résultats positifs, y compris avec des sports assez doux, comme la marche, la natation ou le vélo.

Dans certains pays, notamment au Canada, le sport est déjà intégré à la thérapeutique. Il constitue l’un des premiers éléments de traitement des troubles dépressifs légers à modérés. En France, des associations proposent à des patients de pratiquer un sport parallèlement à la prise en charge de leur maladie psychiatrique : schizophrénie ou troubles bipolaires. D’autres initiatives exemplaires permettent à des personnes atteintes de pathologies chroniques de pratiquer une activité physique adaptée. Cela a un effet bénéfique sur leur moral.

Et pour les enfants et adolescents ?

P. B. – C’est pareil. Le sport agit favorablement sur leur développement personnel. Par exemple, les enfants souffrant d’un trouble autistique qui font de l’équitation modifient leur rapport au monde au contact des chevaux. Dès l’enfance, un petit qui apprend à marcher en imitant ses parents, court ou fait du vélo avec des roulettes fait preuve de sa capacité d’autonomie. Mais l’éloignement des parents n’est possible que si l’enfant bénéficie d’un attachement sécure. Cette notion de sécurité se retrouve aussi dans la résilience : être résilient dans l’insécurité s’avère très difficile.

A l’adolescence, les jeunes s’identifient davantage à de grands champions. Des adolescents en échec scolaire, confrontés à des difficultés familiales ou à des situations de maltraitance peuvent initier un processus de résilience simplement à travers un héros sportif. Ce héros leur sert de modèle en véhiculant les valeurs que sont l’effort, la capacité de faire face à une blessure ou à un problème personnel. A cet âge, le sport a une image très positive sur le plan du vécu.

Le livre montre d’ailleurs comment des jeunes en difficulté entament un processus de résilience lors d’une marche d’environ 1 800 kilomètres ! Durant ce périple d’un peu plus de trois mois, ils s’engagent à respecter des règles de vie et entrent dans une phase d’introspection qui favorise ensuite leur réinsertion.

La capacité de résilience est-elle plus forte chez les sportifs de haut niveau, qu’ils soient ou non en situation de handicap ?

P. B. – Pour pouvoir résister au stress ambiant ou aux blessures récurrentes, les sportifs de haut niveau ont tendance à fortifier leurs caractéristiques positives personnelles, tout comme la qualité de leurs relations sociales et de leur soutien affectif. Ce sont des composantes intrinsèques à la résilience.

La valorisation des exploits sportifs contribue également au processus de résilience, en particulier pour les sportifs en situation de handicap. Les spectateurs vont porter un regard nouveau sur ces sportifs, en se concentrant sur leurs performances exceptionnelles et non pas sur leur handicap.

Malheureusement, cette valorisation n’est pas toujours assurée dans la durée. Pour ceux qui ont participé à de grandes compétitions sportives, telles que les Jeux paralympiques, la perte du regard médiatique à l’issue des épreuves de handisport peut, a contrario, engendrer des problèmes psychologiques, voire une dépression.

Le regard de l'Organisation mondiale de la santé

“Il convient d’encourager les conseils sur l’activité physique dans le cadre du traitement des adultes souffrant d’un épisode/trouble dépressif qui manquent d’exercice physique. Dans la dépression modérée à sévère, cette intervention doit être envisagée en tant que complément aux antidépresseurs ou à des traitements psychologiques brefs et structurés.”

Source : OMS, recommandation en santé mentale.