« Le cadre de l’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations individuelles rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? » Cette question est au cœur de la Convention citoyenne sur la fin de vie, qui s’est réunie pour la première fois le 9 décembre. Ce débat démocratique piloté par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) rassemble 150 citoyennes et citoyens tirés au sort.

Jusqu’en mars 2023, leur tâche consistera à poser les bases d’un consensus pouvant aboutir à la légalisation de l’aide active à mourir (voir glossaire). L’enjeu est de faire évoluer le « cadre légal d’ici à la fin de l’année 2023 », a annoncé le président de la République, Emmanuel Macron, le 13 septembre dernier.

C’est aussi ce jour-là que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a diffusé son avis sur la fin de vie, après s’être autosaisi en juin 2021. Dans ce document, qui évoque la nécessité d’un débat national, le CCNE ouvre la voie à l’aide active à mourir. « Nous avons basé notre réflexion sur la conciliation de deux principes fondamentaux : le devoir de solidarité envers les plus fragiles et le respect de l’autonomie de la personne », indique Alain Claeys, membre du CCNE et corapporteur de cet avis comportant des repères éthiques.

Alain Claeys, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et corapporteur de l’avis sur la fin de vie.

« L’aide active à mourir a fait l’objet de plusieurs initiatives parlementaires de toutes sensibilités politiques. Nous devons tenir compte de ce message de la démocratie représentative, ajoute le coauteur de la loi Claeys-Leonetti de février 2016 sur les nouveaux droits des personnes en fin de vie. Notre but est d’éclairer à la fois le débat citoyen, les pratiques des professionnels de santé et le législateur. »

En effet, Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, dirige en parallèle des concertations avec les personnels de santé, les associations d’usagers ou de patients, et des parlementaires. De son côté, l’Assemblée nationale mène une mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti. L’objectif global est clair : toute nouvelle loi devra refléter les doléances et les questions éthiques exprimées démocratiquement.

 Dépénalisation

« Dans le monde, dix pays ont déjà promulgué des lois spécifiques à l’euthanasie et au suicide assisté. En cas d’euthanasie, le médecin administre une substance létale au patient en fin de vie qui en a fait la demande. Pour un suicide assisté, c’est le malade qui s’autoadministre la substance létale », explique Perrine Galmiche, chargée de mission au Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV).

Perrine Galmiche, chargée de mission au Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV).

« Ces deux actes sont dépénalisés dans sept pays, dont quatre européens : Pays-Bas, Belgique, Luxembourg et Espagne. En Belgique, seule l’euthanasie est explicitement mentionnée dans la loi. Cependant, le suicide assisté est toléré, dès lors qu’un médecin est présent et que les critères prévus par la loi sont respectés, précise cette experte en philosophie, éthique médicale et clinique. Au niveau mondial, l’euthanasie et le suicide assisté sont autorisés en Nouvelle-Zélande, au Canada, sur le plan fédéral, et dans tous les Etats australiens. »

 

Trois autres pays ont choisi de dépénaliser uniquement le suicide assisté. « C’est le cas de la Suisse, où les patients sont accompagnés par des associations, de l’Autriche, de neuf Etats des Etats-Unis et du district de Columbia », poursuit Perrine Galmiche, auteure du « Panorama des législations sur l’aide active à mourir ».

Dans son édition de janvier 2022, ce panorama recense 2 656 euthanasies déclarées en Belgique en 2019, soit 2,4% du nombre total de décès. Près de deux personnes sur trois étaient atteintes de cancers et plus des trois-quarts avaient entre 60 et 90 ans, tout comme aux Pays-Bas. Dans ce pays, les aides actives à mourir ont représenté 4,1% des décès en 2020, contre 0,5% au Luxembourg. Ces Etats voisins font figure de précurseurs, avec des lois datant de 2001 aux Pays-Bas, 2002 en Belgique, 2009 au Luxembourg, et une entrée en vigueur dès 1942 en Suisse.

 Autodétermination

« Notre société est confrontée à une complète hypocrisie, dans la mesure où l’on sait pertinemment que des euthanasies sont pratiquées de manière clandestine dans nos services de soins », lance Yoann Brossard, secrétaire général de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD).

Yoann Brossard, secrétaire général de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD).

« La situation actuelle crée une inégalité face aux soins, car des personnes accèdent à l’aide active à mourir en partant à l’étranger. D’un point de vue éthique, chaque citoyen devrait avoir la possibilité de reprendre le contrôle de sa fin de vie. Cela nous renvoie au concept de choix et d’autodétermination de chacun », renchérit ce militant qui appelle à promouvoir les directives anticipées pour mieux considérer la volonté des patients, y compris à travers la personne de confiance. « Une grande loi sur la fin de vie implique une réflexion globale sur la place du citoyen dans ses derniers jours. Lui redonne-t-on enfin la primauté de la décision ? », s’interroge Yoann Brossard.

Depuis plus de dix ans, les sondages démontrent que les citoyens souhaitent très majoritairement pouvoir abréger leurs souffrances en fin de vie. Ainsi, 78% des Français, dont 84% de femmes et 72% d’hommes, déclarent attendre que la Convention citoyenne « encourage un changement de la loi, avec la légalisation de l’euthanasie ou du suicide médicalement assisté », révèle un sondage Ifop publié en octobre pour l’ADMD.

En avril 2021, un précédent sondage montrait que neuf personnes sur dix accepteraient que loi autorise « les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie des personnes atteintes de maladies insupportables et incurables, si elles le demandent ». Parmi ces réponses, 53% étaient « absolument » favorables à l’euthanasie et 40% « dans certains cas ». Le suicide assisté a recueilli l’assentiment de 89% des sondés, dont 53% d’approbation totale et 36% « plutôt » d’accord.

 Boîte de Pandore

« Il existe un très grand écart entre ce que nous vivons au quotidien dans nos services de soins palliatifs et ce répondent les gens interrogés, en bonne santé ou à distance de la fin de vie », tempère la Dre Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap).

Une enquête OpinionWay a été réalisée pour la Sfap auprès de bénévoles et d’acteurs des soins palliatifs, notamment des médecins, infirmiers ou aides-soignants. Divulguée en octobre, elle conclut que « 90% se déclarent satisfaits du cadre législatif actuel », dont 29% « tout à fait » et 61% « plutôt » satisfaits.

Dre Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap).

« J’exerce en soins palliatifs depuis 22 ans, à Narbonne. Mon équipe et moi-même avons accompagné 12 000 patients en fin de vie et nous n’avons eu que trois demandes d’euthanasie persistantes, affirme Claire Fourcade. Très peu de malades font cette requête et, surtout, celle-ci disparaît complètement pour l’écrasante majorité, dès que l’on soulage leurs douleurs et qu’on les accompagne correctement. » Pour cette praticienne, « le contenu d’une loi symbolise la façon dont la société considère la place des plus fragiles et des moins autonomes ». Elle redoute autant l’impact du message collectif sur ces personnes que d’éventuelles dérives.

« C’est le même principe qu’avec l’IVG : certains craignent que la légalisation de l’aide active à mourir ouvre une boîte de Pandore, alors que les dérives surviennent quand il n’y a aucun encadrement », note Yoann Brossard. Faire progresser la législation « permettrait d’ouvrir le champ des possibles, au lieu de s’enfermer dans des solutions palliatives qui sont efficaces mais pas pour tout le monde, à l’instar des personnes atteintes de maladies neurodégénératives ou de la maladie de Charcot », soutient le secrétaire général de l’ADMD.

Manque d’évaluation

Dans son avis « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité », le CCNE regrette « un manque d’évaluation de la loi de 2016, que ce soit de la part du législateur ou de l’exécutif », rapporte Alain Claeys. « Par exemple, l’utilisation de la sédation profonde et continue jusqu’au décès n’a jamais été évaluée. Par ailleurs, un grand nombre de nos concitoyens n’a pas rédigé ses directives anticipées, qui s’imposent sous réserve qu’elles entrent dans le cadre de la législation et peuvent être modifiées à tout moment », rappelle-t-il.

Pour le CCNE, « la très grande majorité des situations de fin de vie pénibles, voire inacceptables, résulte d’une mise en œuvre insuffisante, voire défaillante, des dispositions législatives et réglementaires en vigueur ». « Nous proposons donc un renforcement des mesures de santé publique dans le domaine des soins palliatifs, véritable prérequis à une quelconque évolution », prévient Alain Claeys. « Nous ne sommes pas favorables à une réforme qui ne consisterait qu’à ouvrir une aide active à mourir, sous certaines conditions très strictes, sans que préalablement tous les sujets de solidarité et d’accompagnement soient consolidés et bien répartis sur le territoire », alerte le membre du CCNE.

Un avis unanimement partagé, comme en témoigne Yoann Brossard : « Evidemment, il est hors de question de favoriser un dispositif ou un autre en fin de vie. Simplement, il convient d’offrir tous les choix possibles aux citoyens : soins palliatifs, aide médicale à mourir ou suicide assisté. »

« Deux tiers des patients qui en auraient besoin n’ont pas accès aux soins palliatifs, déplore Claire Fourcade. L’impression qu’on meurt mal en France résulte en grande partie de ce manque de moyens. » Le plan 2021-2024 sur le développement des soins palliatifs et l’accompagnement de la fin de vie a mobilisé 171 millions d’euros. « C’est à peine 2,50 euros par citoyen, évalue Yoann Brossard. En Autriche, le dernier plan sur les soins palliatifs, qui est d’ailleurs accompagné d’une légalisation de l’aide active à mourir, a prévu l’équivalent de 12 euros par citoyen ! »

Critères et garde-fous

Dans les pays qui autorisent l’aide active à mourir, la législation sécurise son application en définissant l’acte dépénalisé, des critères d’accès, des garde-fous et des modalités de contrôle, à l’image des recommandations du CCNE.

« Malgré les spécificités des textes en vigueur, on retrouve généralement un socle commun. A minima, la personne de 18 ans ou plus doit faire elle-même sa demande volontaire, formulée le plus souvent par écrit. Il faut qu’elle comprenne ce qu’est l’euthanasie ou le suicide assisté. Les médecins reconnaissent de façon collégiale sa capacité à prendre des décisions et acceptent sa demande suivant les conditions d’éligibilité, détaille Perrine Galmiche. Critère fondamental : la personne doit être atteinte d’une maladie grave et incurable, être conscient e, et faire état de souffrances insupportables qui ne peuvent pas être apaisées par d’autres moyens. »

Les lois diffèrent ensuite sur les délais requis, l’exclusion ou non de pathologies, etc. Certaines questions éthiques restent difficiles à appréhender et demeurent parfois non prises en compte. C’est le cas des personnes atteintes de démences, des personnes inconscientes en fin de vie ou encore des enfants mineurs.

Partout, les médecins bénéficient d’une clause de conscience, avec la possibilité de référer à un confrère. « Une loi ne peut pas imposer cet acte au soignant. Il nous paraît très important de respecter l’éthique et la conscience de chacun », acquiesce Yoann Brossard. Cette précaution apparaît cruciale au regard des réticences des soignants. Plusieurs organisations professionnelles ont réagi conjointement à l’avis du CCNE, qui reprend pourtant cette idée, pour déclarer que « donner la mort n’est pas un soin ».

« Cela ne relève pas du travail des soignants. Cette question sociétale n’appelle pas une réponse médicale. Nous tiendrons cette position durant les débats », insiste Claire Fourcade. « Cette opposition, qui a eu lieu dans les autres pays ayant dépénalisé, est souvent visible lors des débats qui précèdent une loi », constate Perrine Galmiche. « Nous arrivons en queue de peloton pour légiférer sur une loi d’ultime liberté. Ensemble, profitons-en pour ne pas calquer un texte existant, mais nous inspirer de ce qui fonctionne ou pas dans les pays qui ont agi avant nous », suggère Yoann Brossard.

Les repères éthiques du CCNE

« Si le législateur décide de légiférer sur l’aide active à mourir, la possibilité d’un accès légal à une assistance au suicide devrait être ouverte aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à court terme », préconise l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) du 13 septembre dernier, qui formule plusieurs repères éthiques.

Dans un souci d’équité entre citoyens, le CCNE évoque aussi la question des personnes qui « ne sont physiquement plus aptes à un tel geste ». Pour ces dernières, certains demandent « un accès légal à l’euthanasie, sous la même condition d’un pronostic vital engagé à un horizon de moyen terme », tandis que d’autres préfèrent l’intervention d’un juge. Le CCNE s’en remet au législateur afin de « déterminer la démarche la plus appropriée pour encadrer ces situations ».

« La décision de donner suite à une demande d’aide active à mourir devrait faire l’objet d’une trace écrite argumentée et serait prise par le médecin en charge du patient, à l’issue de la procédure collégiale », précise-t-il. Tout praticien ou professionnel de santé « devraient pouvoir bénéficier d’une clause de conscience, accompagnée d’une obligation de référer le patient à un praticien susceptible de donner suite à la demande ». Une évaluation de la réforme est nécessaire « dans un délai maximum de cinq ans ».

Pour le CCNE, une telle réforme implique des actions de santé publique dans le domaine des soins palliatifs. Il propose notamment de créer une discipline universitaire dédiée et de développer la recherche interdisciplinaire. Autres priorités : renforcer les soins palliatifs à domicile et dans les établissements médico-sociaux, et inscrire cette activité dans les programmes régionaux de santé.