Mieux soigner le cœur des femmes
A l’Institut de cardiologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), les femmes bénéficient d’un suivi adapté, notamment pour éviter la survenue ou la récidive d’un infarctus du myocarde. Lors du diagnostic, aucun symptôme spécifique aux femmes n’est pris à la légère.
« L’année dernière, j’ai eu une altercation particulièrement violente avec ma responsable hiérarchique et j’ai soudain senti des petits picotements à la poitrine. Je me suis dit que c’était dû au stress et je suis donc repartie dans mon bureau prendre de l’Euphytose, un médicament à base de plantes. Alors que j’étais assise, les picotements continuaient et je m’essoufflais de plus en plus… », se souvient Véronique, aujourd’hui âgée de 60 ans. Victime d’une alerte qui aurait pu dégénérer en infarctus du myocarde, cette patiente a eu la chance d’être prise en charge immédiatement. Elle a eu le bon réflexe de ne pas sous-estimer ses symptômes atypiques.
Symptôme thoracique
« Chez l’homme et la femme, dans sept cas sur dix, l’infarctus se manifeste par une forte douleur qui serre dans la poitrine », explique la cardiologue Stéphane Manzo-Silberman, qui suit Véronique à l’Institut de cardiologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP). « Chez les femmes, d’autres signes peuvent être associés à la gêne thoracique et être parfois plus marquants pour elles, tels qu’un poids dans la poitrine, une brûlure ou un essoufflement brutal. Elles peuvent aussi ressentir une gêne dans le bras, une douleur dans l’épaule ou dans le dos, voire des nausées ou des vomissements », détaille la Dre Stéphane Manzo-Silberman. Pour cette cardiologue, ces spécificités féminines méritent une attention particulière afin d’éviter une perte de chance. Elle rappelle d’ailleurs que la nomenclature américaine parle de symptôme thoracique, et non plus de douleur thoracique.
« J’ai envie de dire aux femmes : “Ecoutez-vous ! Il n’y a pas que les hommes qui font des infarctus” », lance Véronique, installée dans l’un des box de consultation. « Y penser et ne pas traîner est essentiel, car plus on intervient tôt, plus c’est efficace. S’il survient quelque chose d’inhabituel, il ne faut surtout pas attendre que la crise passe en se disant : “Je suis stressée” ou “Je suis fatiguée”, recommande la Dre Stéphane Manzo-Silberman. Il est extrêmement important que les femmes sachent qu’elles sont exposées aux maladies cardiovasculaires. Elles doivent être mieux informées pour se sentir concernées. »
Contre les idées reçues
« Dans l’imaginaire des gens, les maladies coronariennes frappent plutôt un vieux monsieur rougeau, avec un gros ventre, et qui fume. Contrairement aux idées reçues, le visage de ces pathologies est très divers. De plus en plus de femmes sont touchées, y compris des jeunes. En chiffres absolus, l’infarctus du myocarde concerne davantage les hommes, mais, depuis dix ans en France, on observe une augmentation régulière de 5 % par an des hospitalisations pour infarctus du myocarde chez les femmes de moins de 60 ans », déplore Stéphane Manzo-Silberman.
« J’ai pris un coup sur la tête quand j’ai été victime de cette alerte », raconte Véronique. « On parle d’alerte lorsqu’une douleur cède en moins de 15 minutes, avec un électrocardiogramme et des marqueurs biologiques favorables. Si la douleur persiste au-delà d’un quart d’heure, une prise en charge médicale en urgence est nécessaire pour désocclure l’artère. Il faut appeler le 15 ! », renchérit sa cardiologue.
Dans le cadre du diagnostic de Véronique, une coronarographie a été réalisée. « Cet examen consiste à visualiser la perméabilité des artères coronaires qui sont situées en périphérie du cœur et servent à l’irriguer. Le médecin peut ainsi identifier une occlusion éventuelle et rouvrir l’artère », indique Chadine Oubella, infirmière en salle de coronarographie. « On m’a posé deux stents, c’est-à-dire des petits ressorts qui dilatent mes artères afin d’améliorer mon flux sanguin », note Véronique.
Diagnostic précis
« Dans certains cas, il n’y a pas d’occlusion visible. Nous poursuivons alors les investigations par de l’imagerie endocoronaire, des tests hémodynamiques de microcirculation ou des IRM, qui permettent d’identifier précisément le diagnostic et d’adapter le traitement pour éviter les récidives », ajoute Stéphane Manzo-Silberman. A l’écoute des malades, Chadine les accompagne dans la gestion du stress ou de la douleur. « Lorsqu’une femme se plaint de douleurs ou de symptômes peu fréquents, on ne prend jamais cela à la légère », insiste l’infirmière.
La veille, une patiente d’une quarantaine d’années est arrivée en raison de douleurs épigastriques, après avoir consulté les urgences d’un autre hôpital. « Elle avait été renvoyée chez elle, car son électrocardiogramme était normal, tout comme sa troponine, un biomarqueur dont le taux élevé permet de détecter un infarctus du myocarde ou un syndrome coronarien aigu, relate Chadine. Nous avons procédé à des examens complémentaires, notamment une IRM cardiaque, et le médecin a finalement suspecté une myocardite. » « L’infarctus du myocarde est une urgence diagnostique, on y pense donc en priorité. En cas de normalité de tous les paramètres, on évoque ensuite les diagnostics alternatifs », poursuit Stéphane Manzo-Silberman.
Inertie thérapeutique
En amont, il importe de mieux dépister et traiter l’ensemble des facteurs de risques. « Hypertension artérielle, cholestérol, diabète… Les hommes et les femmes partagent des facteurs de risques communs, mais leur impact diffère selon le sexe. Par rapport à un homme diabétique, une femme diabétique a un risque accru d’avoir un infarctus et d’en décéder, et une fumeuse a six fois plus de risques de faire un infarctus qu’un fumeur », constate la cardiologue.
Cette spécialiste regrette « une forme d’inertie thérapeutique vis-à-vis des femmes, consistant à minimiser les facteurs de risque cardiovasculaire, comme l’hypertension, les dyslipidémies, etc ». Elle appelle à développer la prévention et l’information, à l’instar du Groupe Action qui fédère les professionnels, les patients et le grand public dans le but de faire progresser la connaissance et la recherche sur les pathologies cardiovasculaires. L’initiative des Bus du cœur permet de sensibiliser les femmes sur leurs risques cardiovasculaires et d’aller à la rencontre des personnes les plus en difficulté.
Risques féminins
« A titre personnel, je n’avais jamais pensé à l’infarctus. Pourtant, je cumulais plusieurs facteurs de risque dont l’hérédité, avec un père et un frère cardiaques. Ancienne fumeuse, je prends des statines contre le cholestérol. Pendant trente-deux ans, j’ai été infirmière au bloc opératoire puis cadre de santé, un environnement vraiment très stressant ! », énumère Véronique, désormais cadre supérieure après une reconversion professionnelle.
« Avant mon alerte, ma gynécologue m’avait déjà adressée en cardiologie. Elle voulait savoir si je pouvais démarrer un traitement hormonal pour atténuer les symptômes de la ménopause », précise-t-elle. « Ce traitement est très efficace sur les symptômes climatériques [accompagnant la ménopause, ndlr] et la prévention du risque fracturaire de l’ostéoporose. Il est nécessaire de s’assurer de l’absence de contre-indications, notamment la présence de maladie athéromateuse avérée, autrement dit, une accumulation de plaques de cholestérol dans la paroi artérielle, complète Stéphane Manzo-Silberman. A la ménopause, le changement métabolique modifie l’équilibre glycémique et lipidique de la femme, rendant son profil cardiovasculaire défavorable. »
Pathologies féminines et surrisque
La ménopause ne constitue pas le seul risque propre à la population féminine. « Des pathologies gynécologiques, comme l’endométriose ou le syndrome des ovaires polykystiques, entraînent un surrisque d’événement cardiovasculaire, prévient la cardiologue. C’est aussi le cas des complications de grossesse. La prééclampsie, l’éclampsie, le diabète gestationnel et l’hypertension gravidique, même sans diabète ou hypertension par la suite, exposent davantage les femmes dans les cinq, dix ou quinze années suivantes. Les femmes concernées doivent bénéficier d’une vigilance et d’un suivi renforcés. »
Véronique est rassurée par l’efficience de sa prise en charge : « Au début, j’avais peur mais plus maintenant. Je viens en consultation à intervalles réguliers, indépendamment d’examens ponctuels, tels que l’électrocardiogramme, l’épreuve d’effort ou le doppler. Si une crise survient, je sais que je dois appeler le 15. » Elle a aussi modifié certaines habitudes : « J’ai arrêté de vapoter et je vois un nutritionniste. Le week-end et pendant les vacances, je marche 25 à 30 km pour prendre l’air et me vider la tête. Je profite de la vie ! »